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Interview Tran To Nga et Paul François

Interview Tran To Nga et Paul François

À partir du 20/09/2021

C’était David contre Goliath, des batailles perdues d’avance, et pourtant… Il a gagné son procès contre Monsanto, elle espère en faire de même sous peu. Lui, agriculteur, est victime de l’herbicide Lasso, interdit en 2007. Elle, ex-journaliste, de l’agent orange, défoliant utilisé comme arme chimique au Vietnam. Une décennie de combats contre la maladie et les industriels de l’agrochimie ont fait d’eux les avatars de toutes les victimes des pesticides. Interview croisée entre Tran To Nga et Paul François.

C’était David contre Goliath, des batailles perdues d’avance, et pourtant… Il a gagné son procès contre Monsanto, elle espère en faire de même sous peu. Lui, agriculteur, est victime de l’herbicide Lasso, interdit en 2007. Elle, ex-journaliste, de l’agent orange, défoliant utilisé comme arme chimique au Vietnam. Une décennie de combats contre la maladie et les industriels de l’agrochimie ont fait d’eux les avatars de toutes les victimes des pesticides. Interview croisée entre Tran To Nga et Paul François.

Propos recueillis par Gaïa Mugler

Vignette Actu Tran To Nga et Paul François

Quel est le lien entre vos affaires ?

Ensemble : c’est le même combat, les mêmes adversaires !

Tran To Nga : Pendant la guerre, l’agent orange (AO) a rendu malades les Vietnamiens, et toute personne ayant touché le produit a ramené le poison dans ses gènes, dans son pays. Les maladies se transmettent alors de génération en génération jusqu’à la fin d’une lignée. Or l’AO est l’ancêtre des pesticides qui empoisonnent à présent le monde entier.

Qu’en est-il de l’environnement ?

T. T. N. : L’AO est un défoliant1 qui tue toute végétation et a ravagé la nature vietnamienne. Les scientifiques estiment que le produit restera dans les sols, l’eau, les cultures, pendant plus de 100 ans. Insatisfaite de la décision de l’État français sur un « délit » d’écocide, je milite pour la reconnaissance du « crime » d’écocide.

Paul François : Le Lasso est encore utilisé dans les pays asiatiques, pour le riz. Or, dilué dans l’eau, il est encore plus dangereux ! Il faudrait tester l’eau à la sortie des rizicultures, dans les rivières et la mer, qui doivent être très polluées.

1. L’agent orange est notamment composé de dioxine, un herbicide stable qui reste longtemps dans l’environnement et provoque de nombreuses maladies graves.

Marche Contre Monsanto - Tran To Nga( photo Duc Truong)

« Ce combat n’est pas MON combat mais NOTRE combat »

Tran To Nga

Paul_François 2015(c)LFrançois

« Ma victoire vaut pour jurisprudence internationale »

Paul François

Que pensez-vous de la politique actuelle sur les pesticides ?

P. F. : Depuis que l’Anses2 a remplacé le ministère de l’Agriculture pour homologuer les pesticides, plusieurs ont été interdits en France. La création de l’Anses a « limité la casse », mais c’est loin d’être parfait. Et malgré l’interdiction du Lasso en Europe, Bayer en vend encore à l’étranger. D’après des agriculteurs argentins et américains, l’AO serait toujours utilisé face aux phénomènes de résistance bien connus en agriculture conventionnelle.

T. T. N. : Je suis sidérée et triste que l’État français autorise encore les pesticides chimiques. Pourquoi n’arrive-t-on pas à comprendre que ça tue, tant les terres que les Français ? Chaque fois qu’on mange un aliment traité, on avale le poison, avec l’aval du gouvernement. Cela me met peut-être plus en colère encore que les crimes passés !

P. F. : On manque de courage politique. Les décisions sont exclusivement basées sur l’économie et le pratique.

2. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

Dans vos longs combats, qu’est-ce qui vous a fait tenir ?

P. F. : Parfois je me demande ! Ce n’est pas le combat d’une seule personne. J’ai tenu grâce au soutien de ma femme Sylvie, jusqu’à son décès en 2018, puis pour sa mémoire. Pour mes filles. Pour les médecins qui comptaient sur moi. On vous encourage, alors vous trouvez une raison. Et ma victoire vaut pour jurisprudence internationale !

T. T. N. : Pour moi, je n’attends rien, je me bats pour les 4 millions de victimes. Je veux les aider avant de partir. J’étais la seule à pouvoir réunir les trois conditions pour demander justice : être victime, de nationalité française et vivre en France. Je ne veux pas négocier un dédommagement, je veux que le crime du passé soit reconnu et obtenir une jurisprudence. Et qu’alors le monde s’unisse pour combattre le crime du présent : les pesticides.

Avez-vous reçu du soutien de la société civile ?

P. F. : Un peu de la Confédération paysanne3, très peu du reste de la profession, qui considérait que j’étais un moteur de l’agribashing4. Je pense pourtant qu’il faut cesser de taper sur les agriculteurs conventionnels. Les vrais responsables sont ceux qui ont fabriqué les pesticides et l’État, qui les a homologués. J’ai surtout été porté par des associations, Générations futures, l’association Henri Pézerat, du nom du lanceur d’alerte sur l’amiante, et Greenpeace, grâce à qui j’ai pu obtenir des pièces essentielles aux archives du ministère de l’Hygiène et de la Santé en Belgique. J’en relate l’aventure [digne d’un roman d’espionnage, NDLR] dans Un paysan contre Monsanto, publié chez Fayard en 2017. La stratégie de Monsanto est ignoble. Dans l’incapacité de prouver l’innocuité de leur produit, ils attaquent à coups d’insultes et de mensonges.

T. T. N. : Je confirme. Mais de plus en plus de cœurs généreux me soutiennent parmi les Français, la jeunesse. J’en suis émue et très reconnaissante. Ce combat n’est plus MON combat, mais NOTRE combat.

3. Syndicat agricole français qui défend une agriculture dite « paysanne », respectueuse de l’environnement.

4. Dénigrement systématique du secteur agricole

BIO EXPRESS

• Agriculteur français, Paul François est empoisonné en 2004 par l’herbicide Lasso et entame en 2012 un procès contre Monsanto qu’il gagne en 2020. Il a été président de Phyto-victimes, association qui fête ses 10 ans cette année en différents événements à découvrir sur phyto-victimes.fr

• Tran To Nga fut journaliste et résistante durant la guerre du Vietnam. Victime d’épandages d’une arme chimique, l’agent orange, elle tombe gravement malade, de même que ses enfants. Depuis 2014, elle se bat pour faire reconnaître coupables les entreprises l’ayant produit, comme l’illustre le film L’agent orange, la dernière bataille. Au moment de l’entretien, elle attendait avec impatience le verdict du procès prévu pour le 10 mai 2021.

Retrouvez cet article dans le n° 117 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop.

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